Publié le 23 mars 2003

Commerce équitable

Quelques réflexions sur le commerce équitable et le label Max Havelaar. Important : les réflexions que vous trouverez ci-dessous n'engagent que moi et ne sont représentatives d'aucune association.

Écolos pas d'ac.

 

Le 17 mars 2003, des écologistes publiaient "10 objections au commerce équitable", dont voici les titres :

  1. Le commerce « équitable » est inéquitable.
  2. Le commerce équitable favorise la concurrence déloyale.
  3. Le commerce équitable ne tient pas compte des coûts écologiques.
  4. Le commerce équitable favorise l'appauvrissement de la biodiversité.
  5. Le commerce équitable accompagne la « déculturation » de la production.
  6. Le commerce équitable nous éloigne de l'essentiel : re-localiser l'économie.
  7. Max Havelaar cautionne la grande distribution.
  8. Le commerce équitable cautionne la mondialisation.
  9. Le commerce équitable est une forme du néocolonialisme.
  10. Le commerce équitable participe à l'idéologie de la soumission.

Sur ces 10 reproches, deux sont sur le terrain de l'écologie. Les autres sont des problèmes plus généraux d'économie et de mondialisation.

Pour ma part, j'ai proposé mes réponses ci-dessous.

10 objections majeures au "commerce équitable"
Les arguments en faveur du " commerce équitable " ont été largement développés. Notre propos n'est donc pas ici de les rappeler mais, de développer un contre argumentaire à ce commerce dit " équitable ". La capacité à accepter la critique, à recevoir la contradiction, à engager un débat sont le gage d'une démarche évolutive.

Bonjour,

Ces objections sont pertinentes et c'est avec plaisir que je propose ici des réponses (qui n'engagent que moi :o) . Étant militant pour un commerce équitable garanti par le label Max Havelaar, mes réponses et mes arguments sont axés sur la façon de faire du label. Et non sur le commerce équitable en général.

2 - Le commerce équitable favorise la concurrence déloyale
Exemple : Marie fabrique des chapeaux sur le plateau du Larzac. Elle les vend sur le marché à Millau. Sur ce même marché, Jacques propose des chapeaux* estampillés " commerce équitable " moitié moins cher que ceux de Marie. L'association qui importe les chapeaux vendus par Jacques ne paye pas, comme tous les commerçants, le transport à son coût réel : le kérosène des avions et le gas-oil des bateaux n'est pas taxé. Cette association de " commerce équitable " profite aussi, dans une moindre mesure que le commerce classique certes, des faibles rémunérations et de l'absence de protection sociale des pays producteurs et jouent sur la force de l'euro. Enfin, Jacques n'est pas payé : salarié du Crédit Lyonnais, il occupe son temps libre en faisant du bénévolat pour cette association. Résultat : Jacques met en faillite l'activité de Marie, avec d'autant plus de force qu'il le fait avec la meilleure conscience possible, sûr de contribuer à un monde meilleur.

Max Havelaar ne fait pas de commerce. M.H. contrôle les entreprises utilisant son label, et fait du marketing pour se faire connaître. Le marketing bénévole est contestable. Nous le jugeons néanmoins nécessaire tant que le label n'est pas connu de la population. De plus, notre marketing ne porte préjudice qu'à des poids lourd du commerce (donc pas Marie), que nous souhaitons amener à devenir équitables.

Au fond, cette remarque est surtout une critique du commerce associatif. Ou bien des problèmes de mise en place du commerce équitable, mais non du commerce équitable lui-même.

3 - Le commerce équitable ne tient pas compte des coûts écologiques
Exemple : Patricia achète une " banane équitable *". Elle la paye 1 euro. Patricia pense ne manger qu'un fruit tropical alors qu'elle consomme aussi du kérosène, énergie nécessaire pour acheminer le fruit du Costa-Rica jusqu'à chez elle**. Ce kérosène n'étant pas taxé, le coût de l'impact écologique du transport n'est pas prix en compte dans son achat. Et la peau de la banane ? Celle-ci est perdue pour le sol du Costa-Rica qu'elle aurait du enrichir en compostant !**
* Max Havelaar importe aussi par exemple du miel ou du riz, produit que l'on trouve dans nos régions.
** Max Havelaar importe des dictatures zimbabwéenne et kényane en Suisse des fleurs " commerce équitable ". Ces fleurs sont réfrigérées et acheminées en avion pour rester fraîches ! La culture des fleurs se fait sous serres avec force produits toxiques comme les pesticides qui sont connus pour provoquer chez les ouvriers à leur contact des évanouissements, des allergies, des eczémas, des affections respiratoires, des problèmes de vue, pour les femmes : des fausses couches, des naissances prématurées, etc. Ces conditions de travail sont dénoncées par les ONG. (Source revue Silence numéro 274, p.24)
*** Ce sont ainsi d'énormes quantités d'humus qui sont perdues pour les pays producteurs.

Dans le cas de M.H., le commerce est fait par des entreprises normales, qui paient des taxes normales. Si aucun cadre juridique n'est en place pour préserver l'environnement, c'est un problème dû à l'imprévoyance de l'économie internationale. La vocation du commerce équitable est de corriger le rapport de force en faveur des producteurs de pays pauvres. Pas en faveur de la nature. Le commerce équitable n'est pas une solution complète et suffisante à tous les problèmes du développement. La restauration de l'environnement est un autre combat.

Les améliorations environnementales mises en place par Max Havelaar ont pour but de ne pas polluer la nature dont dépend directement le producteur. Elles n'ont donc pas vocation à protéger l'environnement à l'échelle de la planète.

Si des fleurs sont produites dans des conditions sociales et environnementales non décentes, alors cette production est critiquable et il faut la corriger. M.H. travaille pour éviter ce type de situation. Le personnel de M.H. n'a pas la prétention d'être parfait, et la surveillance de la part d'autres associations est la bienvenue. Cependant, ça ne donne pas matière pour une critique du principe du commerce équitable (labellisé ou non).

4 - Le commerce équitable favorise l'appauvrissement de la biodiversité.
Exemple : Patricia est en train de finir de manger sa banane " commerce équitable ". Elle a aussi acheté un pamplemousse, une orange, et. . . une pomme. La diversité de sa corbeille de fruits étant à l'échelle du globe, Patricia néglige alors à la biodiversité locale. Alors que sa région comptaient cinquante espèces de pomme voici vingt ans, il n'en demeure plus que cinq aujourd'hui.

Cette remarque est une critique de la mondialisation. Le commerce équitable propose une solution pour un rapport de force Nord / Sud plus sain. Il propose une voie pour améliorer la mondialisation. Mais on ne peut pas lui imputer tous les torts de la mondialisation. Le label M.H. ne légitime pas non plus la mondialisation - même s'il y crois -, puisqu'il n'est pas un représentant de qui que ce soit.

6 - Le " commerce équitable " nous éloigne de l'essentiel : re-localiser l'économie
Exemple : Loba est paysan en Côte-d'Ivoire. Il cultivait son champ pour se nourrir et alimenter son village (culture vivrière) puis, son gouvernement l'a obligé à produire des fèves de cacao pour les exporter en France (culture de rapport). Loba est alors devenu dépendant du cours mondial du cacao mais, grâce aux bénéfices réalisés en vendant les fèves, la Côte d'Ivoire a pu acheter des avions de chasse à la France. Malheureusement, le cours du cacao ayant beaucoup baissé, Loba se trouve au bord de la famine. Grâce au " commerce équitable ", Loba a un peu moins faim (il reçoit maintenant juste assez d'argent pour acheter la nourriture. . . qu'il produisait avant) et la Côte d'Ivoire peut continuer à acheter des tanks à la France, mais le retour à l'autosuffisance alimentaire s'est à nouveau éloigné. . . et Loba ne connaît toujours pas le goût du chocolat : un produit réservé pour les riches Occidentaux.

Le commerce équitable selon Max Havelaar oblige les « petits producteurs » à s'associer en coopératives. Une coopérative est un plus gros producteur, plus à même de résister aux manipulations politiques. C'est donc, au contraire, une solution pour que les producteurs puissent produire ce qu'ils souhaitent produire.

7 - Max Havelaar cautionne la grande distribution
Exemple : Monsieur et Madame Grandval avaient un peu mauvaise conscience en se rendant en voiture à Auchan le samedi. Ils savaient que, d'une part, cela ne favorise pas leur coopérative, les paysans au marché ou encore les commerces de proximité, et que, d'autre part, il faisait tourner la grande distribution avec toutes ses conséquences : déshumanisation, impact écologique (automobile obligatoire pour y aller, transport routier, flux tendus, agriculture intensive). . ., mal-économie, etc., etc. Ils savaient aussi très bien que ce type de distribution dans les pays riches est la cause de bien de maux dans les pays du Sud. Mais, désormais, grâce au paquet de café Max Havelaar* qu'ils déposent à la fin de leurs courses dans leur charriot plein à raz bord, ils ont maintenant en plus bonne conscience. Auchan s'est en effet servi de cet argument en y axant une large partie de sa communication.
* Ainsi, Max Havelaar ne cesse de se réjouir d'être distribué dans un nombre croissant de grandes surfaces. A cause de celles-ci, entre 1966 et 1998, selon l'INSEE, la France a perdu 17 800 boulangeries-pâtisseries (44%), 73 800 épiceries (84%), 3 500 fromageries (76 %), 1 300 librairies, 4 700 commerces de chaussures (50 %), 4 300 quincailleries (46 %), etc.

En achetant régulièrement un produit garanti équitable par Max Havelaar, en grande distribution ou ailleurs, vous permettez à un producteur d'un pays pauvre de vivre dignement. Le jour où tous les produits seront équitables, c'est l'ensemble des producteurs (des pays riches et pauvres) qui vivront dignement. Avant d'arriver à ce lendemain idéal, il faut commencer par quelques produits seulement.

A part ça, la conscience du consommateur appartient au consommateur. C'est à lui qu'il appartient de décider si un paquet de café équitable légitime son train de vie ou non.

8 - Le " commerce équitable " cautionne la mondialisation
Renée est une vielle militante écologiste. Elle se bat depuis 50 ans pour les cultures vivrières et contre les cultures de rapport. Elle ferraille contre l'uniformisation du monde, contre la volonté de l'Occident d'étendre son anticulture marchande au reste de la planète, contre le " commerce " des pays riches. Pour elle, le " commerce équitable " est une véritable catastrophe. En effet, comment combattre encore la mondialisation si on lui pose des pastilles vertes, des " labels étiques ", si on cautionne ce système si fondamentalement destructeur qui détruit la nature et opprime une multitude d'humains sur la planète* ? Comment alors amener une critique constructive qui remettre en cause les problèmes à leurs racines et non une fausse contestation qui n'a pour conséquence que renforcer ce système ?
* Dans la lettre de Max Havelaar La tasse Max, l'organisation se félicite de sa présence et d'être écouté au. . . forum économique de Davos. " Quant à Porto Alegre, " on ne prêche plus contre la mondialisation mais pour une autre mondialisation. " La tasse de Max, numéro 12, mars 2003

Les produits labellisés par Max Havelaar sont produits dans des conditions sociales et environnementales améliorées. En quoi serait-ce critiquable par les écologistes ? Serait-il préférable de polluer plus afin de faciliter l'action des associations écologistes ? Il me semble au contraire que c'est une bonne chose de rajouter ces critères au commerce. J'invite Renée et tous ceux qui souhaitent comprendre notre action à venir rencontrer les groupes locaux de Max Havelaar. Les valeurs que l'on défend sont compatibles avec celles des associations écologistes, comme en témoigneront les écologistes qui participent à notre mouvement. 

9 - Le commerce équitable est une forme du néocolonialisme*
Exemple : Patrick arrive à la retraite. Après avoir passé sa vie à polluer la planète dans une grande entreprise de chimie, il se dit qu'il pourrait occuper sa retraite en faisant quelque chose " pour les autres ", et notamment pour ces pauvres noirs. En plus, le commerce équitable lui permettra de joindre l'utile à l'agréable en voyageant à travers le monde.
Nathalie, elle, a 29 ans. Elle ne veut pas travailler dans une multinationale classique. Elle choisit donc de travailler chez Max Havelaar. Ainsi, elle a tous les avantages d'une entreprise classique plus l'éthique. Et, comme Patrick, elle adore les aéroports.
Patrick et Nathalie sont, sans vouloir l'accepter, la version actuelle de nos anciens missionnaires. Ceux-ci apportaient une caution morale au vol des ressources naturelles et à l'esclavage des pays du Sud. Avant de vouloir " faire le bien ", Patrick et Nathalie ne se sont pas demandé comment d'abord " ne pas nuire ". Ainsi, tous les deux continuent, avec les 1 % de la planète les plus riches, à prendre l'avion ou bien encore à aller aux sports d'hivers, sans se poser de question sérieusement sur les conséquences qu'implique leur mode de vie. Dans leur station de ski respective, très fiers, Patrick et Nathalie parlent à leurs amis de ces paysans andins qui sont " si gentils ". Ils ne dédaignent pas de temps en temps " faire la morale " et pousser un coup de gueule contre ce monde " qui va si mal ".
* " Qui dit commerce équitable dit développement. " La tasse de Max, numéro 12, mars 2003

La clef du commerce équitable, c'est la transparence. Le consommateur et le producteur sortent de l'ombre et se connaissent. L'un sait pour qui il produit. L'autre sait par qui c'est produit. Le consommateur et le producteur ne sont plus dans un rapport dominant / dominé (ou donneur / assisté) orchestré par des intermédiaires opaques. Ils vont vers une logique saine de partenariat.

Le commerce équitable n'existe que si la démarche vient simultanément des deux côtés. Par exemple, il ne peut rien pour un producteur qui ne s'organise pas par lui-même. Ce n'est donc pas le pays riche qui tend la main au pays pauvre, mais les deux pays qui se serrent la main. Manuel, Loba, Patrick et Nathalie cautionnent et défendent tous ensemble un commerce où chacun y gagne.

Quand au besoin bien humain de se mettre en avant, il n'est pas la spécificité du commerce équitable. 

10 - Le " commerce équitable " participe à l'idéologie de la soumission
Exemple : Thierry milite dans une association de commerce équitable depuis 17 ans (son salaire est 10 fois celui de Loba en Côte d'Ivoire). Il connaît bien les objections au commerce équitable des militants écologistes radicaux, comme Renée. Mais Thierry travaille et ne veut pas remettre en cause toutes ses longues années de labeur acharné. Au lieu de prendre en compte des remarques de ses contradicteurs, il choisit de les insulter : " Vous voulez que chacun reste chez soi ! ? ", etc. Thierry ne cesse de parler de " réalisme " de " stratégie " et de " pédagogie ". Thierry finit par être le meilleur allié de la soumission au " réalisme économique ". Sans forcément s'en rendre compte, Thierry a fait passer dans son échelle des valeurs les lois de l'économie avant le principe moral et le Système se nourrit d'abord de toute les fausses contestations qui légitiment le primat de l'économie. C'est le retour à la case départ.

Réalisme : le commerce équitable est applicable dès aujourd’hui. En ce sens, c'est une action réaliste.

Stratégie : le commerce équitable est un outil pour une meilleure mondialisation. Là encore, il n'a pas la prétention d'être le plus efficace, ou suffisant. Nous proposons un outil et non un stratégie.

Pédagogie : le commerce équitable selon Max Havelaar n'est pas paternaliste. Au contraire, il ne peut profiter qu'aux producteurs ayant la volonté de s'organiser. Même si M.H. peut fournir l'expertise pour y arriver, il y a peu de pédagogie dans son commerce équitable.

Économie, principe moral, Système : Effectivement Max Havelaar souhaite améliorer le système capitaliste. Pas le remplacer. Chacun ses convictions n'est-ce pas ?